21h00. Station 5 du mont Fuji, sentier Yoshida, 2305 mètres d'altitude. Ma frontale éclaire faiblement le chemin rocailleux qui s'élève devant moi. Objectif : atteindre le sommet à 3776m avant le lever du soleil à 4h50. 8 heures d'ascension nocturne m'attendent sur la montagne sacrée du Japon. Le récit d'une expérience physique et spirituelle qui restera gravée à jamais dans ma mémoire.
Préparatifs et arrivée à la station 5
Bus depuis Shinjuku à 17h50, 2h30 de route sinueuse à travers les forêts du Fuji. Progressivement, la végétation se raréfie, les villages disparaissent. Arrivée à 20h25 à la station 5 Fuji Subaru Line, point de départ officiel de l'ascension nocturne sur le sentier Yoshida, le plus populaire des quatre itinéraires.
Atmosphère électrisante : centaines de randonneurs de tous âges, japonais et étrangers, qui s'équipent sous les néons des boutiques. Température : 18°C, ciel dégagé, conditions parfaites. Derniers achats indispensables : bouteille d'oxygène (2000¥), gants chauds (1500¥), en-cas énergétiques. L'excitation monte, le défi commence !
Équipement et état d'esprit
Matériel testé et validé : chaussures de randonnée montantes, vêtements thermiques en couches, coupe-vent imperméable, frontale puissante, bâtons de marche. Poids du sac : 8kg. Préparation physique : 3 mois d'entraînement cardio et randonnées en montagne française.
État d'esprit : mélange d'excitation et d'appréhension. "Celui qui gravit le mont Fuji une fois est un sage, celui qui le fait deux fois est un fou" - ce proverbe japonais résonne dans ma tête. Cette montagne sacrée inspire respect et humilité. Mission : atteindre le sommet pour mon 30ème anniversaire !
Le mont Fuji en chiffres
Altitude : 3776 mètres (plus haut sommet du Japon)
Type : Volcan actif (dernière éruption en 1707)
Saison d'ascension : 1er juillet - 10 septembre
Grimpeurs annuels : Plus de 200 000 personnes
Statut UNESCO : Patrimoine mondial depuis 2013
Symbolisme : Montagne sacrée du shintoïsme et bouddhisme
21h00-00h00 : Les premières heures d'ascension
Stations 5 à 7 : L'échauffement trompeur
21h00 : Départ officiel après 30 minutes d'acclimatation. Sentier large et bien balisé, pente progressive sur terre volcanique rouge. Ambiance bon enfant avec cette "horde" de grimpeurs de tous âges : familles japonaises, groupes d'étudiants coréens, randonneurs occidentaux solitaires.
Progression régulière à 3km/h. Station 6 (2390m) atteinte à 21h45. Premières boutiques-refuges illuminées, vente de souvenirs et boissons chaudes. Réconfort psychologique de ces oasis de lumière dans la nuit noire. Pause de 10 minutes pour s'hydrater et photographier la vallée illuminée en contrebas.
22h30 : Station 7 (3010m) - 705m de dénivelé en 1h30. Premier changement notable : température chute à 12°C, vent plus fort, respiration qui s'accélère légèrement. Au-dessus de la ligne des nuages ! Spectacle magique : mer de nuages argentée sous la lune, seules émergent les cimes des montagnes environnantes.
L'euphorie de l'altitude
Moment de grâce pure : marcher au-dessus des nuages sous un ciel étoilé d'une netteté extraordinaire. Pollution lumineuse inexistante, voie lactée visible à l'œil nu. Sensation d'être déconnecté du monde terrestre, dans une dimension parallèle où seuls comptent le rythme de mes pas et ma respiration.
Solidarité spontanée des grimpeurs : encouragements mutuels, partage de snacks, high-five avec des enfants japonais de 8 ans qui montent avec leurs parents ! L'effort unit au-delà des barrières linguistiques. "Ganbatte !" (Courage !) devient le mot d'ordre de cette ascension collective.
"Le mont Fuji ne se contente pas d'être gravi : il doit être ressenti, vécu, respecté. Chaque pas sur ses flancs est un dialogue avec l'histoire du Japon." - Réflexion personnelle à 3000m d'altitude
00h00-04h00 : L'épreuve des hautes altitudes
Stations 7 à 8 : Le terrain se durcit
Minuit : Changement radical de terrain. Finis les sentiers de terre, place aux chaos rocheux ! Gros blocs volcaniques qu'il faut escalader à l'aide des mains, passages à-pic où la file indienne s'impose. Vitesse de progression divisée par deux : 1,5km/h maximum.
Effets de l'altitude qui se font sentir : respiration plus laborieuse, nécessité de pauses toutes les 20 minutes. Utilisation de ma première bouteille d'oxygène à 3200m. Soulagement immédiat ! Les Japonais ont raison de vendre ces petites bouteilles miracle dans les refuges.
01h30 : Station 8 (3400m) après 4h30 d'effort. Temperature : 4°C, vent glacial. Refuge bondé de grimpeurs qui se réchauffent avec un bol de ramen fumant (800¥). Pause stratégique de 20 minutes pour reprendre des forces. Plus que 376m de dénivelé, mais les plus difficiles !
Stations 8 à 10 : L'épreuve de vérité
02h00 : Reprise vers la station 9 (3460m). Passage le plus technique de l'ascension : sentier qui disparaît par endroits, escalade sur rocher volcanique instable, file indienne obligatoire avec les grimpeurs qui redescendent déjà. Embouteillages humains dans l'obscurité !
Moral à l'épreuve : fatigue qui s'accumule, froid intense malgré les couches de vêtements, doutes qui s'immiscent. "Suis-je vraiment capable d'aller au bout ?" La montagne teste ma détermination. Technique de survie mentale : découper l'objectif en micro-étapes de 50m.
03h30 : Station 9 franchie dans la douleur. Plus que 300m de dénivelé mais sensation d'avoir déjà grimpé l'Everest ! Chaque pas demande un effort conscient. Solidarité maximale des grimpeurs : encouragements, prêt de bâtons de marche, partage d'oxygène. Esprit de cordée spontané.
Gestion de l'effort en haute altitude
• Rythme : 1 pas / 2 respirations au-dessus de 3000m
• Hydratation : 200ml d'eau toutes les 30 minutes
• Pauses : 5 minutes tous les 20 minutes d'effort
• Oxygène : 2-3 bouffées en cas de malaise
• Nutrition : Fruits secs et barres énergétiques
• Mental : Objectifs intermédiaires de 50m
04h00-07h00 : Sommet et descente épique
4h15 : Sommet ! 3776m au-dessus du niveau de la mer
04h15 : ENFIN LE SOMMET ! Passage du dernier torii (portique sacré) dans l'obscurité. Émotion indescriptible ! 8h15 d'effort, 1471m de dénivelé, mais je l'ai fait ! Température au sommet : -2°C, vent à 50km/h. Je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie mais l'adrénaline compense tout.
Découverte du cratère : immense caldeira de 500m de diamètre, profondeur de 200m, encore fumante par endroits. Dimension spirituelle saisissante : sentir la puissance tellurique de ce volcan actif sous mes pieds. Respect total pour cette montagne sacrée vénérée depuis des millénaires.
4h50 : Le lever de soleil le plus magique de ma vie
4h50 : Gorai-ko ("Honorable venue de la lumière") ! Le soleil émerge lentement de la mer de nuages à l'horizon. Spectacle d'une beauté à couper le souffle : dégradé de couleurs du violet au orange, puis explosion de lumière dorée qui embrase le ciel. Silence religieux de tous les grimpeurs présents.
Émotion pure : larmes de joie mélangées à la fatigue et au froid. Sensation de communion avec l'univers depuis ce point culminant du Japon. Comprendre pourquoi les Japonais vénèrent ce moment depuis des siècles. Le pays du Soleil-Levant porte vraiment bien son nom vu d'ici !
Panorama exceptionnel : région des Cinq Lacs en contrebas, mont Hakone au sud, Alpes japonaises au nord, et au loin... Tokyo ! 360° de pure majesté nippone. Photos obligatoires devant le panneau officiel "3776m" malgré les doigts gelés !
La descente : surprise volcanique
07h00 : Début de la descente par le sentier Yoshida. Surprise totale : descente en courant dans du sable volcanique meuble ! Technique découverte sur le tas : grandes enjambées en se laissant porter par la pente. Sensation magique de "skier" dans la poussière rouge !
Vitesse de descente hallucinante : 1000m de dénivelé en 1h30 ! Genoux mis à rude épreuve malgré l'euphorie. Nuages de poussière volcanique, chaussures remplies de graviers, sourire jusqu'aux oreilles ! Technique de survie : vider les chaussures toutes les 30 minutes.
09h30 : Retour à la station 5 épuisé mais comblé. Bilan physique : 12h30 d'effort total, jambes en coton, coups de soleil malgré la crème (attention, UV puissants en altitude !). Bilan moral : expérience de vie inoubliable qui restera gravée à jamais.
Retour à la civilisation et enseignements
Récupération à Kawaguchiko
Bus de retour vers Kawaguchiko à 11h00. Contraste saisissant : retrouver la végétation, les maisons, la "vraie vie" après cette parenthèse hors du temps. Première vision du mont Fuji depuis le lac Kawaguchi avec sa forme parfaite et son sommet enneigé que j'ai foulé quelques heures plus tôt !
Refuge salutaire au K's House Kawaguchiko. Première priorité : onsen (bain thermal japonais) pour détendre les muscles endoloris. Bonheur simple de l'eau chaude à 40°C après le froid glacial du sommet ! Suivi d'un repas pantagruélique pour refaire le plein d'énergie.
Leçons de cette expérience transformatrice
Leçon n°1 : La montagne enseigne l'humilité. Malgré une bonne préparation, le mont Fuji m'a poussé dans mes retranchements. Respect total pour cette montagne sacrée qui ne se laisse pas facilement apprivoiser.
Leçon n°2 : L'importance du mental en situation difficile. Les 2 dernières heures d'ascension ont été une bataille psychologique autant que physique. Découper l'objectif en micro-étapes a été la clé du succès.
Leçon n°3 : La solidarité humaine transcende les cultures. Japonais, Coréens, Occidentaux unis dans l'effort. L'encouragement mutuel a transformé cette épreuve individuelle en aventure collective touchante.
Conseils pratiques pour votre ascension
• Meilleure période : Évitez les week-ends et mi-août (Obon)
• Équipement essentiel : Frontale, vêtements chauds, chaussures montantes
• Préparation physique : 2-3 mois d'entraînement cardio recommandés
• Budget : 100-150€ transport + équipement + refuges
• Timing : Arriver 30min avant le lever de soleil
• Sécurité : Bouteilles d'oxygène, crème solaire indispensables
6 mois après : impact durable de l'expérience
Cette ascension du mont Fuji était inscrite sur ma bucket list depuis mon premier voyage au Japon il y a 5 ans. Réalisée pour mes 30 ans, elle a largement dépassé mes attentes en me donnant bien plus qu'une simple performance sportive : une leçon de vie sur le dépassement de soi.
Changements durables dans ma façon d'aborder les défis : plus de confiance en mes capacités physiques, meilleure gestion du stress, perspective différente sur les "vrais" problèmes du quotidien. Quand on a gravi 3776m de nuit par -2°C, embouteillages parisiens et deadline professionnelles relativement !
Connexion spirituelle avec le Japon
Compréhension nouvelle de la culture japonaise : cette expérience m'a fait toucher du doigt la dimension spirituelle de l'archipel. Le mont Fuji n'est pas qu'une montagne, c'est l'âme du Japon incarnée. Respect éternel pour ce peuple qui vénère cette montagne depuis des siècles.
Projet 2025 : retour au Japon pour gravir les deux autres montagnes sacrées (Tate-yama et Haku-san) et compléter le trio des "Sanreizan". Le mont Fuji a éveillé une passion pour l'alpinisme japonais !
Cette ascension nocturne du mont Fuji restera gravée comme l'une des expériences les plus intenses de ma vie. Au-delà de l'exploit physique, c'est une rencontre avec soi-même, avec l'histoire japonaise, avec la beauté brute de la nature. Comme le dit le proverbe : "Celui qui gravit le mont Fuji une fois est un sage." Je peux maintenant affirmer que cette sagesse se mesure en persévérance, humilité et ouverture aux autres. Le mont Fuji ne se contente pas d'être gravi : il se vit, se ressent, se respecte. Et il transforme à jamais ceux qui osent fouler ses flancs sacrés...